- Bonjour, bienvenue à la Wilson Corporation. En quoi puis-je vous aider ?

Une voix claire, agréable, chaleureuse. Les mots étaient bien articulés, le sourire brillant, aussi audible que visible. Lumineux. Comme ce regard trop bleu, trop clair. Un nez piqueté de tâches de rousseur, légèrement en trompette. Ces derniers parsemaient d’ailleurs sa peau claire jusqu’à ses hautes pommettes.

Une stature plutôt en finesse, élégante, sans rien pourtant de féminin. Il était un homme. Un homme comme il y en avait tant d’autre. Un autre avec sa beauté bien spécifique, au goût ou non de chacun.

Indéniablement bien vêtu dans son costume cravate, la silhouette bien en V mise en valeurs par sa tenue de travail, les cheveux d’un intense roux, presque un peu brun – auburn diraient les coiffeurs – ressortaient flamboyants dans la lumière éclatante du hall d’entrée tout de marbre.

Il faisait beau, ce jour-là.

C’était simple. Ses camarades de promotion ne tarissaient pas d’éloges sur lui. Cedric, c’était le genre de type à attirer les gens à lui. C’était son sourire, sa gentillesse, toujours prompt à rendre service, aider les autres. Un camarade de classe comme on n’en voyait pas souvent, toujours le sourire aux lèvres. Même quand les choses n’allaient pas bien.

Pour ses collègues, il était un homme comme on n’en faisait pas souvent. Malgré le travail qui s’amoncelait, il ne se plaignait jamais. Il bossait, dur, quitte à faire des heures supplémentaires ahurissantes. Quoiqu’il se passe, il avait toujours une solution, parvenait toujours à trouver un compromis.

Selon ses employeurs, il était un modèle à suivre. Un jeune homme prometteur, humble mais ambitieux. Il savait fixer des objectifs clairs et les tenir sans qu’aucun ne soit pourtant lésé. Surtout pas lui. Surtout pas eux. Un garçon qui avait un avenir certain au sein de leur entreprise.

Pour son père et sa sœur, c’était un enfant et un frère… Le meilleur. Le meilleur d’entre tous. Celui qui les avait toujours épaulés, qui avait sacrifié son enfance pour eux et pourtant sans s’en être jamais plaint. Un garçon qui courait pour revenir de l’école aider son père à tenir la maison, s’occuper de sa sœur tout en parvenant à faire ses devoirs. Vraiment, juste le meilleur. Après tout, Cedric venait de « Cedrych », signifiant « Modèle de bonté » en gallois.

Pour ses ex… Ces derniers n’avaient simplement rien à dire.

« …lice a retrouvé un corps. Pour l’instant, rien ne permet d’identifier la victime. Cette dernière a été retrouvé par une joggeuse ce matin aux alentours de Hyde Park. C’est la septième victime dont les empreintes digitales, dents e- »

Il coupa la télévision, le linge encore sur la tête, l’écran maintenant noir lui renvoyant son reflet habillé d’un jogging et d’un t-shirt, le linge au-dessus de ses épaules ne masquant rien de sa chevelure désordonnée et encore mouillée. Mais pas le temps de traîner, une longue journée l’attendait au boulot.

C’était la course depuis que le directeur avait annoncé sa retraite prochaine. Les rendez-vous s’enchaînaient avec celui qui allait être à la tête de cet empire et personne n’avait le temps de souffler. Surtout pas lui. Avec William Corner en tant que prochain directeur de la Wilson Corp, lui venait de se voir grader en tant qu’assistant personnel. Une aubaine. Une véritable aubaine, à son âge. Le travail payait. Toujours.

C’était une conviction qu’il tenait de son enfance, malgré les coups durs que sa famille et lui avaient subits. Une conviction ferme et tenace que peu importe ce qu’il pouvait se passer dans cet univers, le travail payait. Aujourd’hui, il en avait la preuve ; il montait les marches de cette société une à une, la tête haute.

Même pas de pause pour midi. Il mangeait son poke bowl à son bureau, un agenda sur un moniteur avec quelques autres post-it électroniques affichés tandis que sur l’autre se trouvait une ribambelle de tableaux qu’il faisait défiler, son regard sautant d’une ligne à l’autre sans jamais en perdre le fil. Sur son bureau, jamais bien loin de son regard, trônait une photo de lui avec son père et sa sœur lors de sa remise de Bachelor.

Quatre ans, déjà. Multiplié par quatre pour avoir le nombre d’années qu’ils avaient passé sans sa mère. Sans cette génitrice. Il ne regrettait pas cette femme. Pas après ce qu’elle avait fait. Et il savait au jour d’aujourd’hui que son départ avait été une des meilleures choses qui leur soit arrivé. Même s’ils en avaient souffert.

Le téléphone dans sa poche sonna et il le sortit rapidement pour faire défiler le message, un léger sourire à ses lèvres.

- Alors, c’est qui ?

Cedric leva les yeux : Thomas, un collègue. Celui qui travaillait pour la DRH.

- Quelqu’un, répondit Cedric avec un doux sourire.
- Oh allez… Raconte, bon sang ! C’est qui ? Un nouveau mec ?

Le rouquin haussa les épaules, faisant immédiatement râler son collègue. C’était toujours un grand sujet entre les assistants de direction que de savoir qui était donc le grand amour de Cedric. En plus d’être le plus jeune, ce dernier ne sortait que rarement et était secret sur sa vie privée. Un comble après trois ans au sein de l’entreprise. Autant dire que ses collègues faisaient tout pour avoir des anecdotes croustillantes et tenter, taquins, de le caser. Comment Diable est-ce que ce garçon gentil, charmant et bosseur n’était-il pas encore casé ? Grande question au sein des assistants. Très grande question.

Déjà plus de 20h lorsqu’il parvint enfin à sortir du bureau, courant de toutes ses jambes pour rejoindre son point de rendez-vous. Il était en retard. Il le savait. Et il arriva devant Damon complètement essoufflé, l’air de vouloir dire qu’il était désolé alors que tout ce qui quittait ses lèvres, c’était un souffle anarchique.

- Hey… Hey ! Respire, c’est pas grave.
- …lé. J… Je suis… Suis vraiment désolé.
- Ça va, c’est pas grave. J’ai juste attendu… Oh c’est pas grave.

Cedric lâcha un bref rire, rouge de honte, de gêne. Son premier rendez-vous avec le beau brun. Et il arrivait avec presque trente minutes de retard.

- Ça va, ne t’en fais pas… C’est le week-end. On a tout le temps devant nous… chuchota Damon avec un sourire gourmand.

Tout le week-end. Cedric eut un sourire.

Trois mois plus tard

Un bruit humide et répété retentissait doucement, accompagné d’un souffle anarchique allant au rythme des coups. Damon avait cessé de se débattre depuis déjà un moment même s’il n’avait encore rien perdu de sa chaleur. Un cri désespéré éclata avant qu’il ne lâche le couteau pour se presser une main poisseuse de sang sur le visage.

- Pourquoi… Pourquoi… Pourquoi pourquoi pourquoi ! POURQUOI !

Il reprit le couteau et le planta sèchement dans le dos de son amant. Le regard furieux glissa le long du corps sous lui, son souffle si bruyant à se demander s’il n’était pas en train d’hyperventiler.

- T’es un connard… T’es juste un connard de plus ! Me baiser ? C’est ça que tu voulais ? Mais qui baise qui, là, hein ? Qui, espèce d’enfoiré !

Avec la force de la rage, il se redressa et retourna le cadavre sous lui pour commencer à arracher les vêtements maculés de rouge jusqu’à le déshabiller complètement. Et il resta là, à observer ce beau regard brun et vide. Un sourire ourla ses lèvres, doucement, délicatement.

- Tu peux me baiser, mon cœur… Tu peux me baiser toute la nuit si tu veux.

Il fallait qu’il se dépêche s’il voulait pouvoir les conserver. Sans compter qu’il allait devoir se séparer du reste. Encore. Encore une fois. Ce n’était qu’un de plus parmi tant d’autre. Juste un salaud qui avait voulu le baiser avant de commencer à en avoir marre de lui, à le trouver envahissant, jaloux, possessif et pénible dans son manque de confiance. Un de plus qui avait fini par en avoir assez et vouloir le quitter.

- T’es beau, mon cœur… T’es magnifique, chuchota-t-il doucement en plaçant le bocal sur son étagère.

Juste un bocal parmi tant d’autres. Un bocal qui le fixait, les globes oculaires flottant doucement dans leur liquide. Un sourire recommença à se former sur ses lèvres, plus tendre, plus aimant, tandis qu’il reculait pour admirer son nouvel amour parmi tous les autres. Il y en avait onze.

Ses pieds finirent par taper contre son fauteuil et il s’y laissa tomber, le cœur battant plus vite, le souffle plus court. Les mains toujours poisseuses, le goût ferreux de son amant en bouche, il se hâta de déboutonner son pantalon pour glisser une main dans son vêtement. Son gémissement sourd se perdit entre les murs.

Aujourd’hui

Ses yeux s’ouvrirent sur le plafond de bois. Un frisson de froid le secoua avant qu’il ne se recroqueville sur le côté pour tenter de sauvegarder un peu de cette chaleur.

Trois mois qu’il était ici. Etrange comme le temps semblait s’écouler à la fois si vite et pourtant si lentement lorsque l’on était cloîtré entre quatre murs… Un sourire dépité ourla ses lèvres et il resta ainsi, durant de longues minutes, avant de finalement se redresser.

Une journée. Une journée de plus, ici, à Eternally. Sans plus rien de son ancienne vie. Sans plus ses amants. Une journée de plus où il serait seul.