Une voix chaude retentit en même temps que la porte claquait dans son dos. Puis un gémissement sourd avant qu’un rire excité ne retentisse. Dans la lumière tamisée de l’appartement, le bleu polaire de son regard paraissait bouillant, maquillé de ces cils noirs et épais et surligné par des sourcils bien dessinés, ses lèvres finement dessinées ourlées en un sourire presque diabolique.

L’épaisse chevelure noire décorée par quelques bijoux s’échappait de ces derniers en mèches pêle-mêle, collant à ses pommettes hautes, à ses joues, à sa gorge ou à ses épaules à cause de la sueur salée qui habillait sa peau basanée. Au milieu de ces longues mèches, les boucles d’oreilles se perdaient avant qu’une bouche avide ne les arrache sans parvenir à faire saigner les lobes : rien que des clips, des bric-à-brocs.

Un grondement sourd lui échappa lorsque la main trop avide arracha ses vêtements, emportant presque ses colliers se faisant et dévoilant un torse aux muscles ciselés, lui faisant froncer ce nez droit et fier. Oui, il était plus que simplement entretenu. Et même si ses vêtements amples le cachaient, il n’avait pas à rougir de sa force, à défaut de ce qu’il se passait, et d’un subit coup de hanche, il inversa leur position pour épingler son amant au mur à son tour.

- Patience…

Sa voix était chaude. Non, pas juste chaude. Elle était roulante, avec ce quelque chose de torride des terres du Sud. Ses mains aux longues phalanges se montraient tour-à-tour délicates et brutales lorsqu’elles l’attrapèrent pour le forcer dans une embrasse impérieuse, sa pomme d’Adam montant et descendant dans un mouvement de déglutition après cette échange trop profond.

Et tandis qu’il se coulait contre ce corps qui lui faisait face d’un mouvement souple, bien loin de ce que certains pourraient imaginer, ses mains s’étirant sur le bar alors que sa langue, ce muscle chaud et rose, venait goûter à la peau de cette mâchoire devant lui. Il poussa un son de gorge indécent. Ses doigts se refermèrent sur le pic à glace avant de l’enfoncer subitement dans la nuque de l’homme.

Le bleu de son regard était devenu glacial, charriant une colère froide et impitoyable. Il poussait avec force contre le corps qui le combattait, accueillant le souffle difficile et humide aux creux de ses oreilles jusqu’à ce que le silence ne se fasse. Puis il se recula d’un pas, ce dernier silencieux à défaut du corps qui chutait à ses pieds. Un air de dégoût tordait son visage.

- Traître.

Voix froide, basse, alors qu’il le dominait de toute sa hauteur.

Personne d’avant ne pourrait parler de lui, ici. Personne ne pourrait dire s’il était mieux ou s’il était pire, s’il était juste lui ou s’il jouait la comédie.

Per-son-ne. Et ce n’était pas plus mal. Ou c’était encore plus mal.

Mais ceux d’ici, ceux d’Eternally, pouvaient. A tort ou à raison. Il était un homme de parole, disaient certains. C’était un enfoiré, profiteur et manipulateur, disaient d’autres. C’était un rêveur, un homme qui cherchait à toucher les étoiles tandis que d’autres le dépeignaient comme le Diable, ce fourbe menteur qui les avait baisées déjà, ces foutues étoiles. Avant de souffler la poussière restante avec le sourire. C’était un homme qui louait sa solitude. Non. C’était un homme qui abhorrait sa solitude.

Au moins se mettaient-ils d’accord pour dire qu’il était lui. Juste lui. Et que sa volonté était sienne, aussi tordue et incomprise pouvait-elle être. Il était fidèle, oui. Fidèle à lui seul, certainement. Certains louaient son nom alors que d’autres le trainaient dans la boue. Qui avait tort ?

Ce qu’il désirait ? Tout. Ce qu’il recherchait ? Ça…

Son histoire ? Ah, son histoire… Mais elle était inconnue de ceux d’Eternally, à moins de l’avoir connu dans cette autre vie. Cette vie lointaine, pleine de blanc, pleine de vert, pleine de noir et pleine de rouge. Oui, cette autre vie pleine de trop. Les coups de feu résonnaient encore à ses oreilles, les embuscades et le sang versé si chers à son cœur. Glauque ? Non. Historique, oui.

Après tout, « mafia » venait de l’italo-sicilien « mafiusu ». Ou était-ce du toscan « maffia » ? Qu’importe. Les deux étaient vrais. Et les deux étaient l’Histoire. Autant que la Sienne.

Ce passé, lointain, n’avait plus sa place aujourd’hui. Seul restait lui, Armando Da Vezzano. Dans Eternally, il avait tissé sa toile depuis six ans. Oui, il était une Veuve Noire. Parce qu’en plus de tisser sa toile, il administrait son poison. Létale, en douceur, en violence. Ces réseaux qu’il avait construits, ces âmes qu’il avait fauchées et ces cœurs qu’il avait ravivés, tout, absolument tout était lui.

Il était inconstant ; il était redoutable et pourtant, envers et contre tout, il était encore là. Six ans plus tard, il était toujours là. Pourquoi ? Alors que son cœur allait battre pour les Blacksuns. Pourquoi ? Alors que ses lèvres susurraient des mots doux aux Redguns. Pourquoi ? Alors que ses tendres sourires flattaient les Green-Laws. Pourquoi ? Alors que sa parole était d’or pour les Blue-Anarchists.

Parce qu’il n’y avait que lui capable de faire chanter cette toile, récoltant les notes pour en peindre ce tableau multicolore. Il était le joueur de flûte, artistique et capricieux, amenant les souris à danser pour lui. Car une à une, aucune ne valait ne serait-ce qu’une seule des pierres qu’il foulait.

Pourquoi est-ce qu’il était encore là ? Mais parce qu’il était lui, bien sûr.