Alors ouais, il n’est pas grand. Un euphémisme à ce stade, puisqu’il a l’air d’être resté coincé dans la peau d’un ado qui oscille entre sa poussée de croissance et cet âge ingrat où la voix déraille à chaque haussement de ton. En milles ? Il a la gueule d’un gosse, avec ses joues encore rondes et pleines de l’enfance sur ses mâchoires carrées et imberbes, sa peau douce et non marquée de rides d’une existence bien remplie. Il a la gueule d’un gosse, encadrée d’un rideau de cheveux blonds souvent nattés, mais ses yeux…

Ah, ses yeux. Ces deux iris d’un ambre chaud si semblable à ceux des loups. Fixes. Prédateurs. Un regard bien trop ancien pour un visage aussi jeune. Le regard d’un homme mûr, de quelqu’un qui a déjà vécu alors qu’il n’en est encore qu’à l’aube de son existence.

Ça dérange ? Sans doute. Ce n’est pas naturel, mais d’un autre côté chez les Suns, qui irait s’en formaliser ? Personne n’est normal là-bas. Tous givrés. Tous Porteurs d’un passé qui se lit et s’apprécie à même leurs peaux et il n’y déroge pas. La sienne est littéralement couturée de multiples cicatrices chirurgicales, fines et droites, superbes. Une œuvre d’art rare qui s’apprécie sur ses muscles bien dessinés qui roulent sous sa peau de blond. Aucune partie – ou presque – de sa silhouette athlétique ne semble y échapper, mais les questions restent en suspens.

Lui-même ne sait pas exactement ce qu’ils lui ont fait. Il se sait imperméable à la douleur qui semble tordre le commun des mortels à chaque blessure et il ne se brise pas, jamais. Il n’est pas grand, mais à l’instar de ces foutues saletés de wolverines dont il porte le nom, il encaisse.

Et il fait mal.
Il ne quitte que rarement l’écrin de ferraille qui enserre son bras droit et lorsqu’il cogne ou comprime entre ses doigts… mieux vaut ne pas trop tenir à ses os. Ce n’est pas un simple gantelet d’acier, comme en témoignent les discrets vérins qui chuintent, tranquilles, à chacun de ses mouvements…

Il est le premier fleuron de la seconde génération, la première arme next-gen balancée l’air de rien dans la grande arène Eternally...

C’est une arme. Aussi simple que cela. Il élimine froidement, sans états d’âme, sans questionnements. Comme si c’était naturel pour lui d’éradiquer les autres et d’un certain côté, c’est le cas. Il analyse, il dessine un plan d’action, il s’exécute. Il a été créé pour cela.

Mais à côté… Que connaît-il du spectre des émotions humaines et de la complexité de leurs relations ? Que dalle. Parce qu’il n’a pas été créé pour cela. Il ne connaît que la peur dans le regard des autres, il ne connaît que leur colère. Il connaît la faim, le sommeil et le froid, qu’il traite comme autant d’informations parmi tant d’autres. Le reste ? Un grand territoire inconnu, une plaine de possibles qu’il va devoir arpenter en solo et apprivoiser à mains nues.

Il est résilient. Il a été choisi pour cette qualité, et ce, dès son plus jeune âge. Il encaisse, sans remettre en question son éducation, son seul but étant de survivre le plus longtemps possible et d’avancer, quel que soit l’endroit où sa route le mènera.

Un feu couve au fond de ses prunelles ; un éclat de caractère trempé, enrobé dans une naïveté cynique qui ignore et qui sait. Une contradiction dans toute sa splendeur, un brouillon à peine esquissé en dehors des grandes lignes tirées, voici ce qu’il est.

Comment aurait-il pu en être autrement, alors qu’il est son propre étranger…

Il y avait passé quelques jours. Sans chercher à manger, sans chercher à se fixer. À se contenter d’analyser. La topographie du terrain, les forces en puissance. Quelques jours à hanter les ombres, tendre les oreilles, laisser la ville lui parler et lui conter ses secrets, parfois en le demandant aux petites bouches discrètes qui la peuple. Oui, il avait analysé son environnement, puis il s’était mis en marche. En plein jour, sans chercher à dissimuler son approche résolue, droit vers le QG des Soleils noirs qui semblait l'attirer comme un papillon vers un astre maladif.

L’inviter, même.

Avait-on cherché à l’arrêter pendant sa marche inexorable ? Qui sait. Quoi qui ait bien pu se passer entre lui et ses détracteurs passagers, l’histoire n’en garda aucune trace sinon dans les mémoires des concernés. La seule chose qui compte en définitive, c’est qu’il soit arrivé jusqu’à ce flingue fatidique pour signer son arrêt de liberté en s’engageant chez les Suns.


Il n’avait pas hésité. Pas une seule seconde. Après avoir annoncé son intention, il s’était saisi de l’arme avec cette assurance détachée propre à ceux qui n’en ont rien à battre de leur vie et qui se contentent d’agir sans états d’âme. Le canon dans la bouche comme s’il s’apprêtait à lui tailler une pipe pleine de dents et clic, il avait pressé la détente.

Sans jamais quitter de ces yeux d’ambre fixes ceux qui lui faisaient face et qui venaient de l’accueillir en leur sein.

Depuis ?

Il est bien emmerdé. Enfin. Si tant est qu’il puisse reconnaître cette émotion. Mais oui, quelque part, il est tout de même bien emmerdé. Il savait à quoi s’attendre. Toute sa vie jusque-là n’avait été qu’une préparation et un long entrainement à Eternally mais… ouais. Quelque chose est de travers. Il ne sait pas quoi exactement, il évite de trop y réfléchir, mais quelque chose ne va pas. Alors il attend. D’avoir des directives de ses chefs, qu’ils lui trouvent un rôle et une utilité, car en définitive…

Peut-être que cette impression bizarre est liée à ce trop plein de liberté et de temps auxquels rien ni personne ne l’avait entrainé.